mercredi 11 février 2009

Et l'archi dans tout ça?

N'oublions pas qu'un des buts principaux de ce voyage pour moi, à part d'éviter les tempêtes de neige en me dorant les gambettes au soleil, c'est de voir de l'archi et de visiter des archis. Perth n'est certainement pas au cœur de mes recherches mais j'y ai quand même découvert deux trois trucs intéressants.
Tout d'abord et pour faire vite, l'agence Troppo a un bureau ici. Il s'agit d'une agence historiquement basée à Darwin et dont le travail m'intéresse énormément alors je suis allez toquer à leur porte il y a quelques jours. Manque de bol la plupart des projets sur lesquels ils travaillent depuis Perth sont des dispensaires pour les aborigènes et autres centres culturels/écoles. Je dit manque de bol pas parce que ça m'intéresse pas mais parce que ce genre de projet se construit dans des endroits auxquels j'ai difficilement accès, concrètement 3 heures d'avion et 800km de piste pour voir un bâtiment. A part ça, ils construisent ici quelques maisons pour le plaisir, Adrian Welke, le mec de l'agence m'a donné une adresse, je suis allé voir ce que je pouvais voir et autant dire que je suis impatient de découvrir la suite...
Sinon, avant de partir de France, un de mes anciens profs, Hubert Guillaud, membre du laboratoire de recherche CRATerre-Ensag spécialisé dans l'architecture de terre, m'a demandé de lui ramener autant de photos que possible. Autant dire que son nom et le nom de son laboratoire m'ont permis d'aller taper à de nombreuses portes, ou plutôt d'envoyer de nombreux emails. Le contact le plus fructueux a été établi avec Stephen Dobson, constructeur en pisé depuis plus de 25 ans, environ 700 bâtiments à son actif. Son entreprise, Ramtec, construit les murs en pisé de maisons pavillonnaires avant que d'autres entreprises ne viennent faire le reste. J'ai passé plusieurs journées sur des maisons à différents stades de construction et j'ai appris pleins de petits trucs concrets et utiles que j'aurais trouvé dans aucun livre. Je vais les mettre ici en vrac sachant que la plupart d'entre vous n'en ont pas grande utilité, m'enfin comme ça au moins j'oublierai pas et puis qui sait, ça servira peut-être à quelqu'un...
Tout d'abord le système de banchage: les banches ne sont pas en quinconce comme dans le cas du pisé isérois, une longueur de mur est construite toute hauteur puis les banches sont démontées et la longueur suivante est alors construite. Une réserve est prévue pour que le deuxième mur s'emboite dans le premier. Avantage: moins de déplacement sur le chantier, inconvénient: un énorme coup de sabre qui compromet la stabilité du mur...
Les banches ont été développées par Stephen et sont le fruit d'années de pratique, il a déposé un brevet et ne m'a pas laissé prendre de photos de peur de les retrouver trop vite sur internet. Cela dit il s'agit d'un système simple, robuste et modulaire pour construire des murs de 1 à 4 mètres de long, de 30 cm de large, et de 7 mètres de haut. 7 mètres, c'est le plus que j'ai vu et autant dire que c'est l'idée d'un architecte stupide qui dessine des jolies maisons qui font plaisir aux clients qui croient acheter un truc sain et écologique mais qui vivent en fait dans une maison en béton. Faire un mur linéaire (pas d'angle=moins de stabilité) en pisé de 30 cm de large 1,20m de long et 7 mètres de haut, ça veut dire 15% de ciment: c'est un mur en béton compressé au lieu d'être en béton armé... Ca fait d'ailleurs enragé Stephen qui rêve de construire à 0% ciment comme son collègue et ami l'autrichien Martin Rauch qui, pour lui, est un exemple de rigueur et de qualité! Le problème c'est la sérénité des clients et des assurances qui s'accroit aussi vite que le pourcentage de ciment (entre 2 et 15%)...
Les murs sont construits par deux bonshommes à l'aide d'un échafaudage télescopique (une sorte de plateforme comme celles des laveurs de carreaux) et d'un Bobcat (oups pardon, Bobcat est une marque, une sorte de mini pelleteuse). La terre, un sable argileux orangé très fin en provenance de je sais pas où, arrive par camion. Le Bobcat sert à mélanger terre, ciment et eau. Le mélange est très grossièrement mesuré et est validé à l'œil et au toucher. Le soleil cognant extrêmement fort dans la journée, les quantités d'eau nécessaires varient. Le mélange et emmené au pied du mur à l'aide du Bobcat et versé directement dans les banches si le mur n'est pas trop haut, ou sur l'échafaudage télescopique. Chaque hauteur de banche (environ 50 cm) est remplie en trois fois avec un damage au pisoir pneumatique entre chaque versement. Des gaines électriques circulent à l'intérieur du mur ainsi que des sortes de rubans métalliques dans le dernier mètre en tête de mur pour accrocher la charpente. Une fois la banche remplie, une nouvelle hauteur de banche vient s'y emboiter et cela jusqu'à arriver à la hauteur requise. La face supérieure du mur est damée au marteau et lissée à la main. Le lendemain ou surlendemain, les banches sont retirées et c'est reparti pour un tour. Certains pans de mur trop élancés (c'est à dire trop hauts et pas assez longs pour tenir tous seuls) sont maintenus par des jambes métalliques jusqu'à la pose des planchers.
Les linteaux sont la plupart du temps réalisés en ossature et bardage bois. Cependant certaines fenêtres, en général les plus petites, ont un linteau en pisé. Il s'agit en fait d'une longueur de T en acier dont la face fait environ 26 cm qui sert à la fois de banchage perdu et de renfort au pisé qui ne peut travailler en traction: c'est simple discret et efficace mais impossible pour des très longues portées (porte de garage).
Le problème principal, c'est qu'une fois fini le mur en pisé est dans sont état définitif, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, et doit le rester. C'est à dire que, pour des raisons esthétiques avant tout, mais aussi thermiques et économiques, il n'y aura pas de doublage. Le problème c'est que ce mur, qui est l'un des premiers éléments mis en œuvre sur le chantier après les fondations, doit survivre aux agressions diverses et variées dont il est susceptible d'être victime au cours du chantier, avant même d'être livré au client. Tâche de peinture, de plâtre, rayure parce qu'un ouvrier mal informé a posé des trucs contre le mur. Certains murs portant un premier étage en ossature bois se retrouvent parfois recouverts de coulures de résine produites par le bois. C'est un problème très sérieux qui est source de nombreux conflits avec les clients et qui se résout le plus souvent à coup d'acétone et autres solvants industriels fort peu écologiques. De plus, après achèvement le mur est entièrement recouvert d'un autre produit chimique qui va retenir les micro poussières d'argile qui devraient se décoller de sa surface pendant quelques mois juste histoire que la ménagère ménage son aspiro.
C'est là pour moi un des principaux bémols à ce type de construction: trop de produits chimiques qui vont rester dans le mur, et à cela s'ajoute trop de ciment et une mise en œuvre peu cohérente avec la réalité du matériau. Ça me motive doublement à aller faire un tour en Autriche...
Cela dit l'ensemble des maisons dans lesquelles j'ai pu rentrer ont sans conteste de très grandes qualités thermiques avant tout, mais aussi acoustiques et esthétiques. Chouette quoi!

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